Le stress pendant la grossesse, une entrevue avec Suzanne King

Fondation Olo | Grossesse

 

Les femmes enceintes sont généralement aux prises avec plusieurs défis quotidiens. Depuis la mi-mars 2020, elles font face, comme nous tous, à la pandémie de COVID-19, laquelle accentue l’anxiété et l’insécurité alimentaire vécues par plusieurs. Nous avons voulu approfondir notre compréhension des effets du stress sur les femmes enceintes et les bébés à naître pour être mieux outillées pour les accompagner. Voici donc le résumé de notre entretien avec la docteure Suzanne King, professeure et chercheure au département de psychiatrie de l’Université McGill.

 

Docteure King, pouvez-vous nous décrire en quelques mots vos intérêts en recherche?

Depuis plus de 20 ans, je m’intéresse aux facteurs qui expliquent pourquoi certaines personnes souffrent plus de dépression ou d’anxiété, ou ont un plus grand risque de développer certains types de maladies. Bien que le facteur le plus important soit la génétique, un facteur non génétique qui semble également influencer la santé ultérieure de l’enfant à naître est l’environnement dans lequel la mère vit pendant la grossesse. Par exemple, il y a de nombreuses années, des chercheurs ont découvert que les bébés dont la mère était enceinte pendant une famine soudaine et grave devenaient souvent par la suite des adultes obèses, atteints de diabète et d’hypertension artérielle.

Le but de ma recherche est de comprendre en quoi ces événements ont changé l’enfant à naître de manière à affecter sa santé et son bien-être futurs. En particulier, je veux comprendre comment le stress de la mère lié à ces grands événements de la vie est communiqué à l’enfant à naître.

J’ai donc étudié les femmes enceintes lors de catastrophes naturelles, à commencer par la tempête de verglas au Québec en 1998, puis dans le contexte de 3 inondations majeures, et du feu de forêt de 2016 à Fort McMurray, en Alberta. Dans toutes ces études, je mesure trois types de stress liés à la catastrophe chez chaque femme. Premièrement, je mesure les difficultés objectives de chaque femme, c’est-à-dire les faits objectifs liés à l’événement : la menace qu’elle a subie, le montant des pertes, le degré de changement dans sa vie, l’ampleur et la durée de la catastrophe. Deuxièmement, je mesure le niveau de détresse de chaque femme à la suite de la catastrophe, comme la gravité de ses symptômes de type stress post-traumatique. Troisièmement, je demande à chaque femme d’évaluer ce qu’elle considère comme les conséquences de la catastrophe sur elle et sa famille (évaluation cognitive). Ensuite, nous obtenons des informations sur la naissance, le bébé, puis nous mesurons le développement du bébé tous les deux ans environ.

 

Que savons-nous des effets du stress sur les bébés à naître?

Les résultats de mes recherches démontrent que chaque aspect de l’expérience du stress de la femme a un effet faible à modéré sur le bébé en développement : son développement intellectuel, sa croissance, son développement moteur et son développement émotionnel. Nous avons été interpellés de voir que beaucoup des effets sur le bébé proviennent des difficultés objectives de la femme, donc des choses sur lesquelles elle n’a aucun contrôle, et ce, peu importe son niveau de détresse. Par exemple, nous avons constaté que plus longtemps la mère était sans électricité pendant la tempête de verglas, plus le risque d’obésité de l’enfant était élevé entre l’âge de 5 ans et 19 ans et plus l’enfant avait des problèmes de dépression et d’anxiété en vieillissant. Et lorsque les mères ont évalué les conséquences de la tempête de verglas comme négatives, leurs enfants étaient plus susceptibles d’avoir d’autres types de problèmes de santé.

Nous avons également constaté que chaque moment de la grossesse, du premier mois à la fin de la grossesse, est un moment sensible pour l’enfant à naître: il n’y a pas de moment propice pour vivre le stress en ce qui concerne le bébé!

 

Pouvons-nous penser qu’il est possible d’éviter les conséquences néfastes du stress sur les bébés par des mesures de prévention?

Il y a des choses qu’un couple peut faire pour éviter le stress à différents moments.

  • Avant même d’essayer d’avoir un enfant : éviter de faire des changements majeurs, comme un déménagement. On peut aussi s’entourer de gens qui offrent un bon soutien social.
  • Pendant la grossesse : il est important d’avoir de bons soins prénataux, d’adopter un mode de vie sain, qui inclut de bien manger et d’être prudente pour éviter toute forme d’infections.
  • Pendant la naissance et après la naissance du bébé : essayer d’avoir une naissance aussi naturelle que possible et adopter le soin kangourou (peau-à-peau) dès la naissance et pendant les premières semaines de vie de l’enfant. Aussi les parents étant des modèles pour leur enfant dès la naissance, la stimulation adéquate et diversifiée ainsi qu’une structure et une discipline cohérentes permettront à l’enfant de développer son plein potentiel.

 

Quel type d’action pouvons-nous faire pour soutenir les femmes enceintes, particulièrement pendant cette période de pandémie? Croyez-vous que l’action de la Fondation Olo peut contribuer à cette prévention?

Cette pandémie mondiale regroupe tous les éléments de stress que nous avons étudiés dans nos recherches. Il y a une grande menace : chaque jour, on nous rappelle que des gens meurent de la COVID-19, on nous dit de rester à 2 mètres de distance des gens, d’éviter les foules, de se laver les mains, etc. La pandémie crée de grandes pertes pour de nombreuses personnes (emplois, revenus, etc.) et elle a apporté des changements incroyables dans tout ce que nous faisons : du travail à la socialisation et même simplement à l’épicerie. Enfin, la portée de la pandémie dépasse tout ce que nous avons étudié auparavant: alors que la tempête de verglas a laissé certaines personnes sans électricité jusqu’à 45 jours, cette pandémie a affecté nos vies pendant plusieurs mois et pourrait durer encore plusieurs mois à venir. Et tandis que les personnes qui traversent une inondation n’ont qu’à parcourir une courte distance pour être sur un sol sec et obtenir de l’aide de personnes non touchées par l’inondation, la planète entière est touchée par cette pandémie. Il y a donc peu d’endroits où aller pour s’enfuir. Par conséquent, je considère que cette pandémie a le potentiel d’affecter considérablement la santé et le bien-être de la prochaine génération d’enfants.

Les femmes enceintes en situation de précarité ont exactement besoin du type d’aide que la Fondation Olo peut apporter. Le rôle des intervenantes Olo est crucial dans cette période, car elles offrent aux futures mamans un suivi indispensable en cette période de stress, peut-être même le seul suivi disponible pour elles. Au-delà du suivi nutritionnel, les intervenantes offrent un soutien social encore plus adapté aux besoins qu’à l’habitude qui agit comme un filet de sécurité pour les mamans. Elles peuvent aider les femmes à rester positives. Ceci est important car une vision positive de la situation est un autre facteur de protection pour le bébé.

 

Si vous aviez une recommandation à formuler en guise de conclusion, quelle serait-elle?

Je vous ai parlé de nombreux effets que le stress pendant la grossesse peut avoir sur l’enfant à naître. Et cela peut sembler effrayant pour beaucoup de femmes. Mais la bonne nouvelle est que, avec beaucoup d’amour, de patience et de soutien (y compris de la part des intervenantes Olo), les bébés peuvent être protégés de beaucoup de ces effets. Et nous devons toujours nous rappeler que, malgré les problèmes qui existent autour de nous, nous vivons ici dans une société qui fournit à tous des soins médicaux et des services de soutien excellents et universels. Et la Fondation Olo peut aider les femmes enceintes à avoir confiance en leurs qualités de maman et que, quoiqu’il arrive, elles feront ce qu’il y a de mieux pour leur bébé.

 

 


Propos recueillis par Caroline St-Louis