Un choix crève-cœur : nourrir l’enfant à naître ou celui à table?

Par : Élise Boyer, directrice générale 

La situation économique actuelle est telle qu’elle rend quotidien un dilemme intenable : au Québec, des parents qui attendent l’arrivée d’un enfant dans un contexte d’insécurité alimentaire sont amenés malgré eux à choisir parmi leurs enfants celui qui bénéficiera de l’apport nutritif de précieux aliments.

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L’image semble trop forte, mais elle est appuyée sur des constats rigoureux. En octobre, la Fondation Olo a sondé près de 200 intervenantes qui accompagnent des femmes enceintes et des familles partout au Québec. Les observations ont été rapportées dans le contexte du suivi Olo qui est un accompagnement visant la naissance d’un bébé en santé et l’adoption de saines habitudes alimentaires dans les 1000 premiers jours (une période clé allant du début de la grossesse aux deux ans de l’enfant). Au fil des rencontres, des coupons échangeables contre du lait, des œufs et des légumes ainsi que des outils éducatifs sont remis pendant que le lien de confiance établi avec l’intervenante soutient la mobilisation et renforce le sentiment de compétence du parent face à l’alimentation de son enfant.

Or, selon ces 200 intervenantes Olo, 12% des femmes enceintes qu’elles suivent comprennent l’importance des coupons, mais les utilisent désormais avant tout pour combler les besoins alimentaires des autres membres de leur famille. Dans 76% des cas, les femmes enceintes utiliseraient la majorité de ces coupons pour elles-mêmes et leur bébé à naître, mais une partie serait utilisée pour le reste de la famille. Le coup de sonde met aussi en lumière d’autres aspects tout aussi préoccupants. On peine à imaginer l’intensité du sentiment de culpabilité des parents. De plus, on sait qu’il s’additionne à une anxiété quotidienne devant la difficulté de remplir le réfrigérateur et, trop souvent, de payer un loyer trop cher pour un espace trop petit.   

Dans ces pages, Claude Pinard évoquait dès mai une tempête parfaite. L’expression s’applique tristement aux réalités que nous observons. Aux facteurs de risques et à l’isolement social amplifiés par la pandémie a suivi une inflation sans précédent qui a au moins deux conséquences sur l’alimentation des familles : une baisse du revenu disponible pour l’épicerie et une hausse du prix des aliments. Inévitablement, des compromis doivent être faits en quantité et en qualité. Pour des parents, ça signifie de se priver de nourriture pour mieux répondre aux besoins de ses enfants. Pour des futures mamans, ça peut vouloir dire de choisir entre l’enfant à naître ou celui à table.

Au Québec, nous avons déjà statué qu’il est inacceptable que des enfants démarrent leur journée d’école sans l’apport d’un déjeuner nutritif. Il est maintenant temps de refuser que les mêmes barrières à la saine alimentation impactent le développement des enfants dans la période qui compte le plus, celle des 1000 premiers jours.

Agir signifiera déployer des solutions à plus d’un niveau. La première cause de l’insécurité alimentaire étant un revenu insuffisant, il faut des politiques publiques qui réduisent les inégalités, incluant des mesures qui favorisent l’accès à un logement décent et abordable pour tous. Il en faut aussi qui prennent en compte la réalité des tout-petits considérant qu’il n’y a pas d’autre période de la vie qui ait autant d’impact sur leur futur. C’est vrai en cette Grande semaine des tout-petits et tout au long de l’année.

Ensuite, il nous faut des services accessibles et de qualité pour les familles qui expérimentent la précarité financière en même temps que l’aventure parentale. Le suivi Olo en fait partie et il ne doit pas être pris pour acquis ni sous-financé. On le veut accessible, soutenant et bienveillant, partout au Québec et tout au long des 1000 premiers jours de vie.

Si des choix doivent être faits, il importe que ce soit des choix de société et non pas celui de parents aimants, mais déchirés.

 

Revue de presse